Bref.
Il patouille mollement ses céréales. Sa cuillère décrit des genres d’arabesques irrégulières dans son bol. Il soupire. Les pétales soufflés au miel se délitent doucement. Il préfère ceux au chocolat. Maman s’est encore trompée. Il se lève. Il va boire un coup au robinet de l’évier. Il revient s’assoir.
Il n’aime pas l’école. Alors forcément, il n’aime pas beaucoup les lundis matins. Il n’a jamais très faim, le lundi matin. Le dimanche, c’est différent. Souvent, papa va chercher des croissants. Lui, il fait des blagues, et maman rit fort. Sa petite sœur aussi. Le lundi, tout le monde court. C’est nul, le lundi.
Il aimerait bien aimer l’école. Il aime apprendre. Il voudrait être chercheur, plus tard. Sa maîtresse est gentille. Il joue au foot à la récré. Il y a Quentin et Lucas et ensemble ils jouent aux cartes Pokemon ou aux toupies Beyblade. Même la cantine est plutôt sympa. Et puis il y a Lucie. Elle a de longs cheveux blonds, Lucie.
Il aimerait bien aimer l’école, mais il y a les dictées. Les sujets, les compléments d’objets directs, et les verbes. Il y a les a-avec-accent et les a-sans-accent. Les f qui s’écrivent f et les f qui s’écrivent ph. Il y a les s qui font s et les s qui font z. « Et » à la fin de paquet alors que c’est « ai » à la fin de balai. Un genre de jungle. D’abord, il n’y comprend rien. Ensuite, quand par hasard il comprend, il ne retient pas. Et quand par miracle il retient, il ne pense jamais à l’utiliser à la dictée. Il a toujours zéro.
Il y a aussi les « questions de compréhension » sur les lectures. Et lui, c’est rare qu’il comprenne tout, à la lecture. Il ne sait pas pourquoi. Quand on lui raconte, il comprend tout et retient très bien. Mieux que Lucas et Quentin. Mais pas quand il lit.
Maman dit :
- Ce que tu peux être étourdi, Martin !
Mais heureusement, elle lui fait quand même des câlins. Parfois il a peur du jour où elle n’en aura plus envie. A force qu’il soit étourdi. Papa répond :
- Arrête avec ça, Marie !
Mais il ne fait pas trop de câlins. C’est pas son genre, à Papa.
Il n’est pas triste. Pas trop. Mais ça l’embête, tout ça. Ça l’embête vraiment.
Ce qu’il aime, lui, à part les céréales au chocolat, c’est regarder tous les « c’est pas sorcier » en DVD. Comprendre. Refaire les expériences. Expliquer à Papi et Mami comment ça marche, une écluse, un orage, un volcan. Il épate tout le monde. Il est fier. Il se demande souvent pourquoi en Français, il comprend rien, alors qu’en sciences, il comprend tout.
L’autre jour, la copine de maman a dit qu’il était peut-être dyslexique et dysorthographique. Elle a répété plusieurs fois, même maman trouvait que c’était compliqué, comme mots. Elle a dit :
- Tu sais, Erwan aussi est dyslexique. Depuis qu’on le sait, on ne se fâche plus. On sait mieux comment l’aider autrement pour son travail.
Et puis elle a repris un sablé dans la petite assiette du goûter.
Il ne connait pas Erwan. Il ne sait pas ce que ça veut dire, dyslexique.
Ce qu’il a retenu, c’est que des fois, on pouvait aider les enfants autrement pour leur travail. Il se dit qu’il aimerait bien qu’on l’aide.
Bref.
Il a besoin d’un orthophoniste.
Décret numéro 2002 721 du 2 mai 2002 relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession d'orthophoniste.
Art. 3. L'orthophoniste est habilité à accomplir les actes suivants: la rééducation des troubles du langage écrit (dyslexie, dysorthographie, dysgraphie)