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Ce blog est né du désir de mieux faire connaître la profession d'orthophoniste. Merci de votre passage !

mercredi 29 février 2012

Elle n'aime pas ça


Bref.
Elle n’aime pas ça. Pas ça du tout. Ça lui rappelle des souvenirs. Pas très bons. Elle est inquiète.


Son petit bonhomme bute pas mal sur les mots, en ce moment. Il hésite, ça ne sort pas, il s’y reprend. Le mot lui fait peur, mais il bégaye. Incontestablement.


Hier elle a demandé à son mari :

-          Tu as remarqué que Thomas bégaye ?

Il a répondu :

-          Tu ne crois pas que tu en rajoutes un peu ? Il cherche ses mots, parfois, oui. Mais pas tout le temps. Et puis il les trouve. Je n’ai pas l’impression que ça soit grave.


Il est ressorti dans le jardin. Les plans de tomates à repiquer. Il n’avait pas encore fini, il paraît. Elle a repris son montage de meuble. Une bibliothèque pour le salon. Elle s’est mordu la lèvre. Son mari a dit ça calmement, sans sous-entendu. Il n’a pas haussé les épaules, genre « qu’est-ce que tu inventes encore, espèce de maman poule ». Non. Il a entendu la question. Réfléchi cinq secondes. Et répondu posément. Donc il n’est vraiment pas inquiet.


Elle se demande pourquoi la planche A est plus courte que la planche B. Elle n’y comprend rien, à cette notice.


Elle en a parlé au pédiatre, la semaine dernière. Il a dit :

-          A quatre ans et demi, c’est un passage possible. Ne vous tracassez pas.


Et puis il est passé à autre chose. Elle n’a pas osé dire que si, justement, elle se tracassait. Pas mal. Beaucoup. Enormément. C’est qu’elle a un frère bègue. Il est grand maintenant. Il a plutôt bien surmonté ce handicap. Il a un chouette boulot. Une belle petite famille. Mais ce fut un long chemin. Très long. Psychothérapie et orthophonie. Longtemps. Elle ne se rappelle plus à quel moment ça avait commencé. Elle n’ose pas l’appeler. Ils ne sont plus très proches.


Elle se dit qu’il y a peut-être un risque familial. Sa fille n’a pas fait ça. Elle est plus grande maintenant. Mais Thomas est un garçon. Comme son frère. Hasard ? Elle n’en sait rien. Elle a la trouille, simplement.


Sa copine Alexandra n’arrête pas de lui répéter :

-          Tom a fait pareil au même âge. Ça lui est passé tout seul. Ne t’en fais pas autant !


Elle était à deux doigts de se laisser convaincre. Tom est un garçon, Il a buté sur les mots étant petit, il n’est pas bègue. CQFD ? Mais Alexandra a rajouté :

-          Tu vas finir par le rendre vraiment bègue, à te faire des nœuds au cerveau !


Merci les copines. Dans le genre commentaire qui tue, ça se pose là. Elle sait bien que c’était pour tenter de faire de l’humour. Dédramatiser. C’est juste totalement raté.

Elle laisse tomber le montage de la bibliothèque. Plus tard. Pas l’esprit à ça.


Plus le temps passe, et plus elle se dit qu’elle aurait besoin de l’avis d’un spécialiste. Pour être rassurée, si l’avis est rassurant. Pour être fixée, s’il ne l’est pas. Pour être entendue, et éventuellement guidée, en tout cas.


Bref.
Elle a besoin d’un orthophoniste.




Décret numéro 2002 721 du 2 mai 2002 relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession d'orthophoniste:

Art3: L'orthophoniste est habilité à accomplir les actes suivants: la rééducation des troubles de l'articulation, de la parole ou du langage oral (dysphasies. bégaiements)

vendredi 3 février 2012

Un message particulier

Ce message est un peu particulier, puisque le texte qui suit a été écrit par mon papa. Alors mon papa, petite présentation rapide. Ingénieur informatique/électronique. Ex-cadre sup à la retraite. Engagé dans 345 associations (environ), élu local, j'oublie quoi? Et victime, en mars 2010, de deux AVC en dix jours de temps. Premier ischémique (= un vaisseau bouché). Second hémorragique, qui laissera derrière lui un énorme hématome dans le cerveau.

J'étais chez mes parents quand il est sorti de l'hôpital: il ne pouvait quasiment pas finir une seule phrase, quand encore il parvenait à en commencer. Grosse aphasie versant production, et versant compréhension loin d'être indemne. Lecture plus que délicate. Production écrite impossible. Depuis 2 ans, il fait donc des séances d'orthophonie. Et il a sacrément récupéré.

Il suit ce blog, et ça lui a donné des idées. Sans le dire à personne, il a écrit son "bref" à lui. Reçu hier matin dans ma boîte mail. Je le propose en lecture ici, avec son accord, bien entendu (il a été tellement désarmé de ce qui lui arrivait, et qu'il ne comprenait pas, qu'apporter sa pierre à l'édifice qui fait connaître l'aphasie, ça lui va!). Et brut de fonderie, bien entendu aussi. De même que c'est avec son accord que je vous ai fait cette brève présentation, pour mieux situer le texte. 


C'est donc ce coup-ci un texte vécu "de l'intérieur"!


Et clin d'oeil à Charlotte, son orthophoniste!

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Bref…
Après quelques temps, je cherche à lire le livre que j’avais commencé il y a quelques semaines : impossible. Que des mots illisibles et n’ayant aucun sens !

Je tente de retourner devant mon ordinateur pour continuer le programme que j’avais commencé avant d’aller quelques semaines à l’hôpital. Mais là encore, ce que je tentais de faire était devenu impossible. Ce que j’avais écrit était devenu quelque chose comme du cyrillique, moi qui ne connait pas le russe.

J’en parle avec ma famille : mes phrases sont illogiques, où les mots que je dis sont différents que ceux que j’écoute en les prononçant.

Je tente d’envoyer un email à l’occasion de mon retour à la maison, vers quelques amis : donner des nouvelles à tous ceux qui ont demandé comment j’allais. J’avais envie de leur dire que, maintenant, j’allais mieux ! Mais les phrases que j’écrivais étaient désordonnés, difficile pour les amis de comprendre mon explication.

Bref.
Je reviens à la maison, après trois semaines d’hôpital, je suis « aphasique » dit-on !
Je ne sais pas ce que cela signifie, mais ce que je sais, c’est que tout est devenu difficile, que ma femme et mes enfants m’aident, et tendent de me comprendre.

Bref.
Ma petite tête est devenue sournoise, me suggère de dire quelque chose qui n’a pas de sens, des mots qui se cachent, et que je ne retrouve pas, des notes de musique ne sachant plus quels sont les dièses et les bémols…

Bref.
Maintenant, ça fait deux ans. Avec l’aide de toutes et tous, j’ai réappris, comme si j’étais un gamin qui ne sait pas ni lire, ni écrire…L’ordinateur, la musique….ça revient très lentement. La mémoire, c’est mieux, mais il y a encore du travail !


 Finalement, l’Orthophoniste était mon guide, avec son accueil, sa patience, sa compréhension.
Bref, j’ai toujours besoin d’une (où un) orthophoniste.


Benoit Pingault