Bref.
Son réveil sonne. Elle pense grmmmblll frrrtttt mmm quoi ? Elle
se retourne. Le réveil continue de fanfaronner. Elle s’assoit. Coupe la
sonnerie. Allume la lumière. Ça lui agresse les yeux. Elle repense grmmmblll
frrrtttt mmm. Le matin devrait être interdit par la loi.
Un café plus tard elle émerge. Ça va mieux. Elle regarde ses mails.
Ecoute la radio. Elle fait griller un toast. Refait du café. Tartine le toast.
L’entrain s’éveille avec la saveur miel-beurre salé sur sa langue. Rien de
meilleur. Parfait pour qu’elle démarre enfin. Premier sourire de la journée.
Elle vient de penser à Gwen. Ce sera son premier patient aujourd’hui. Un petit
garçon handicapé. Il progresse lentement mais constamment. Elle s’émerveille
souvent. Elle passe en revue mentalement tous les autres. Ça y est, elle a la
pêche. Ça mérite un autre toast.
Elle pose sa tasse dans l’évier. Pas de vaisselle. Plus tard. Attrape
son manteau. Ses sacs. Ses clés. En avant.
Il fait froid. Normal c’est l’hiver. Elle se demande si l’hiver ne
devrait pas aussi être interdit par la loi. A réfléchir. Elle arrive au
cabinet. Jette un œil dans la salle d’attente. Tout est bien rangé.
Accueillant. Parfait. Elle monte un peu le chauffage. S’installe dans son
bureau. Sort les dossiers du jour. 4 enfants, 2 ados, un adulte, 3 personnes
âgées. Langage oral. Langage écrit. Logique. Voix. Mémoire. Certes. Mais
d’abord et avant tout, des gens. Des humains, comme elle. Complexes. Uniques.
Passionnants. Enervants parfois. Arrivés chez elle parce qu’ils étaient en
délicatesse avec leur communication. Leur langage. C’est si essentiel, le
langage et la communication, dans une vie… En souffrance, souvent. Sur la
défensive, de temps à autre. Elle les prend comme ils sont. Elle essaye du
mieux qu’elle peut. Entendre leur demande. Ce qu’ils en disent. Et ce qui,
peut-être, se cache derrière sans savoir se formuler. Considérer avec respect
ce qui est mis en avant. En tenir compte. Ne pas toujours s’y arrêter.
Sans cesse, chercher le plus de justesse possible dans les séances
qu’elle propose. Nous sommes tous si différents.
Entendre les craintes de l’écolier, les questionnements des parents,
les détresses des personnes âgées. Garder sa place de thérapeute. Remettre en
perspective.
Elle imagine quelques contenus possibles pour les séances du jour. La
plupart du temps, ça ne lui sert pas. Elle prend ses patients comme ils sont.
Là où ils en sont. Ce jour-là à cette heure-là. Elle considère que c’est à elle
de s’adapter à eux. Pas l’inverse. Et encore heureux. Elle jongle en live avec
ses savoirs, son expérience clinique. Tenter de trouver le meilleur contenu, le
support idéal, la façon de travailler adaptée. Presqu’à l’improviste, à chaque
fois. En fonction de ce que racontera Simon ou Eléonore en arrivant. Et en
gardant en tête le fil conducteur du travail commencé avec eux. Douceur et
dynamisme. Analyser, tisser des liens, donner du sens. Son quotidien.
Elle adore ça. Parfois elle est fatiguée. Elle en a marre. Jamais
longtemps. Elle voit bien ses copains. Ceux, nombreux, que leur boulot machinal
et sans saveur saoule allègrement. Elle mesure sa chance. La richesse de son
travail à elle est exigeante. Mais oh combien précieuse.
Ce soir, elle se repassera les petites victoires et les grandes joies
de la journée. Les questions, les tristesses, et les souffrances aussi. Bilan
lucide. Pour aborder le lendemain sans faux-semblants. Et garder son optimisme
chevillé au corps.
Bref.
Elle est orthophoniste.