Bref.
Il doit avoir l’air d’une andouille. Ou d’une poule. Une qui a trouvé
un couteau, hein. Pas n’importe laquelle.
Il ne peut pas rentrer chez lui.
Il fait un petit tour à pieds. Le quartier est plutôt joli. Ça va l’aérer. Quand il reviendra dans un quart d’heure, tout ira bien. Il prend la rue des armateurs. Remonte jusqu’au marchand de journaux. Salue Albert de loin. Il n’entre pas. Traverse. Va au distribanque. Veut retirer 20 euros pour se donner une contenance. Pour justifier du détour.
Merde.
Là non plus, il ne sait plus comment faire. Ça l’énerve. Ça l’angoisse, aussi. Peut-être que s’il arrivait à réfléchir calmement, il retrouverait la procédure. Mais il ne peut pas. C’est quoi ce bazar ? Pas foutu de retirer des sous à un distributeur ? Ni de manipuler le système de sécurité d’entrée de sa propriété ? Il est ingénieur, à la fin ! Pas le premier couillon venu, non plus !
Il retourne sur ses pas. Il va bien falloir qu’il arrive à rentrer. Au
pire il criera un grand coup devant la grille. Sa femme est à la maison. Elle
devrait l’entendre, la cour n’est pas si grande.
Il regarde ses pieds. Curieux. Il sait encore marcher, il sait encore à peu près parler, il n’est pas amnésique. Tout semble rouler, au premier abord. D’ailleurs le neurologue lui a dit à peu près ça, en le faisant sortir de l’hosto. Il a dit :
-
Vous vous en sortez bien !
Et puis :
-
C’était un petit accident vasculaire cérébral.
On va vous surveiller de près, mais vous ne devriez pas avoir trop de
séquelles.
Pas trop de séquelles. Enchanté. Et c’est quoi, alors, ce bazar ?
Toutes ces choses qu’il ne sait plus par quel bout attraper ? Il lui faut
une plombe pour s’habiller. Pour s’habiller, bon sang ! Un truc aussi
facile et automatique que ça ! Parfois il commence à enfiler son pantalon
avant d’avoir mis son caleçon. Faut quand même pas être bien. Hier midi il a
cru qu’il n’arriverait pas à manger son œuf à la coque. Il a saisi sa
fourchette. Dominique lui a dit :
-
Chéri, essaye avec ta cuillère, ça marchera
mieux !
Il s’est senti le dernier des nuls. Mais Dominique a souri. Un gentil
sourire complice. Alors ils ont ri tous les deux. C’était bon.
Il se dit qu’il devrait rigoler de tout ça plus souvent. Le truc,
c’est que ça a du mal à le faire marrer. Trois semaines qu’il est sorti de
l’hosto. Officiellement, tout va bien. Cette bonne blague.
Il pense qu’il aimerait reprendre son travail. Mais qu’il en est
incapable. Il pense que Dominique aime partir seule une semaine par-ci par-là,
chez un de leurs enfants ou avec une amie. Et que dans l’état où il est, il est
incapable de rester seul. Pourtant en apparence tout va bien. Aux yeux de leurs
amis, il semble parfaitement remis. Incompréhensible.
Il arrive chez lui. Dominique le guettait, elle vient ouvrir la
grille. Elle a compris. Elle dépose un bisou tendre sur sa joue.
-
Tu as été long, je m’inquiétais.
C’est ça. C’est exactement ça. Il est long, pour tout. Et ça
l’inquiète, lui aussi.
Bref.
Il a besoin d’un orthophoniste.
Décret numéro 2002 721 du 2 mai
2002 relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession
d'orthophoniste:
Art3: L'orthophoniste est habilité à accomplir les actes suivants: la rééducation des fonctions du langage oral ou écrit liées à des lésions cérébrales localisées (aphasie, alexie, agnosie, agraphie, acalculie)
Art3: L'orthophoniste est habilité à accomplir les actes suivants: la rééducation des fonctions du langage oral ou écrit liées à des lésions cérébrales localisées (aphasie, alexie, agnosie, agraphie, acalculie)